mardi 16 septembre 2008

Perséphone en Turquie, 2e épisode : SPLENDEUR ET MISÈRES DU TOMBEAU LYCIEN

(Vous allez voir, ça parle de déchets !!!! Youpiiiiii!!!!!)



Il y a dans toutes les civilisations une sorte de respect atavique de la mort que se partagent tous les gens sympathiques. Vous n'irez pas spontanément, vous, lecteur, renverser vos détritus sur le caveau de famille de vos voisins: vous trouveriez cela inconvenant.
Vos enfants, qui se promènent le samedi soir en charriant des packs de canettes de bière et en écoutant des jingles téléchargés sur leurs téléphones portables, raisonneront de même. Si contraints par l'adversité, ils finissent leur virée dans un cimetière communal, ils renverseront, au pire, leur bière dans les pots de fleurs artificielles.

Ce fait de société m'avait toujours paru curieux; je ne comprends pas qu'on se transmette, de génération en génération, le respect comme valeur commune: c'est une inspiration surnaturelle. Après tout ce caveau de famille n'est pas votre caveau, et les morts sont toujours les morts.
Mais la France étant ce qu'elle est, c'est-à-dire un pays spirituellement élevé, l'infâme qui tague ou salit un tombeau s'expose à la condamnation publique, comme le prouve en ce moment notre bonne ville d'Arras.

Eh bien cette règle immuable a enfin un accroc.

Bizarrement il bée aussi à Fethiye, comme notre boulet au slip bleu. (C'est que certaines villes ont plus de substance que d'autres, ou que j'arrange l'histoire pour les besoins de la narration, qui sait).

Fethiye, je ne crois pas l'avoir dit, était membre autrefois de la confédération lycienne, un ensemble de villes qui, entre autres particularismes, se sentaient tenues de se conformer à des usages funéraires absurdes, du genre mettre des sarcophages au milieu des trois-voies.
Je vous parle de choses qui ont eu lieu il y a trois mille ans, et dont les habitants du coin n'ont plus qu'une perception très vague.
N'empêche: un tombeau même lycien reste un objet reconnaissable. Il est essentiellement composé d'un socle en pierre, d'une cuve, en pierre (massive), et d'un couvercle, énorme, que le Guide Bleu gratifie de cannelures ou d'un autre terme architectural abscons que je ne vais pas perdre mon temps à aller vérifier. Ledit couvercle est parfois orné d'une croix, ce qui pourrait passer pour un symbole chrétien, mais ne l'est pas du tout, vu que les Lyciens ont tous été ratiboisés vers l'an -200.
Reconnaissons que c'est là tout de même chez eux une belle intuition prophétique, et que ça n'est pas une raison, tout de même, pour les arroser de quoi que ce soit.
Le sarcophage lycien présente en outre une grande variété de formes. Il ne ressemble souvent pas du tout à un sarcophage. C'est souvent une simple niche à même la falaise, de première, deuxième, ou troisième classe (c'est-à-dire à une, deux ou beaucoup de croix, voire, curieuse confusion des genres! pourvue d'un fronton gigantesque de temple hellénistique).

Les pilleurs de tombes sont passés par là, et je n'ai pas vu d'exemple que la façade n'ait pas été pulvérisée – ce qui nous permet (every cloud has a silver lining) d'admirer la disposition intérieure. Quelle que soit la classe du tombeau, le principe varie assez peu: trois banquettes le long des murs, où l'on déposait, à défaut de les y enfourner, les cadavres des dignitaires.

Fonctionnel et gracieux.

Au vu d'une telle disparité de styles, je peux comprendre que la population de Fethiye se sente par instants un peu égarée. Les cimetières musulmans n'ont jamais l'air de niches. Le tourneur de kebap (dönerci) n'est pas contraint non plus, de par son activité, à se poser huit cents questions sur les rites funéraires de l'ancienne Lycie. On l'excusera donc de garer son vélo, le soir, en face d'une tombe trimillénaire, s'il croit que c'est une grotte naturelle.
On lui passera, dans un accès de générosité touristique, ses graffitis sur la dédicace en lycien; mais il y a d'autres sortes de mauvaises manières.

Lorsqu'on déambule dans Fethiye, et que par extraordinaire on quitte le port de plaisance, on arrive bien vite aux falaises. C'est là le lieu d'élection du tombeau lycien. Pour s'en rendre compte il faut traverser préalablement d'anciens quartiers grecs qui ne respirent pas l'abondance; mais le site principal est, pour une fois, barré, c'est-à-dire qu'il faut s'acquitter d'un droit d'entrée de huit lires, ce que nos voyageuses, à sec, ne daignent pas s'offrir.
En retraversant les rues populaires, l'une d'elle aperçoit un curieux relief, entre deux pâtés de maisons. Nul doute qu'il s'agisse là d'une niche à trois croix. Nul doute non plus que le propriétaire du terrain ait pris la formule littéralement, et qu'il ait fait de la niche une niche; il y a attaché son dogue.

En face de ce tombeau un autre, qui n'est pas mieux traité, puisqu'il sert de soubassement à une terrasse en parpaings, encombrée d'un joyeux foutoir agricole. La tombe où pourrit autrefois Diodème, ou un Lycien assimilable, remplit aujourd'hui des fonctions de voirie, aux bénéfices d'un Fethiyen qui consomme à ce qu'il paraît le Coca et le lait salé en quantités industrielles.

Je ne dis pas que ça n'est pas louable. Les bourgades de la côte méditerranéenne sont mystérieusement privées de poubelles. Face à la carence le citoyen alerté met à profit son environnement, et en use avec la mer, les champs et les bas-côtés fleuris comme nous avec les conteneurs verts de l'arrière-cour, autant dire cradement. Et tant qu'à choisir entre les étendues liquides des flots et le réduit ombreux d'une tombe, je préfère le dernier, qui circonscrit au moins les merdouilles.

Dommage tout de même pour les Lyciens. Je n'ai pas précisé en introduction, pour ne pas faire pleurer les foules, que ces sarcophages servaient en priorité aux monarques, qui se succédaient à des rythmes intenses. On peut estimer que Diodème était un homme de premier plan.

Ainsi vont les grandeurs passées! Aux ordures et à la poussière.

Perséphone, 11 septembre 2008

PS: pour toute information sur la vie ou la mort des Lyciens, ou l'accroissement du déchet turc, je me tiens à votre disposition.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

la règle immuable du respect... est-elle sérieuse, Perséphone, quand elle dit ne pas comprendre ou est ce son humour qui ne percute pas jusqu'à chez moi ?

zizule a dit…

Dès que j'aurai appris à Perséphone comment laisser un commentaire, je pense qu'elle se fera une joie de te répondre.

Anonyme a dit…

La suite, la suite !


Syl