lundi 18 décembre 2006

concurrence

je suis navrée
j'avais promis d'arrêter les fleuves
mais voici la démonstration qu'il existe une multitude de talents inconnus et admirables

voici l'aventure d'une amie très chère, retranscrite à l'intention d'un des ses amis plus cher encore, qu'elle vouvoie (allez savoir pourquoi) (un jour ils se sont dit : "on se vouvoie ?")

savourez

re-PS : c'est pareil, si vous êtes pressés, remettez à une autre fois ... comme le WE prochain



A (...) MAGDALENI CUNCTATORI S.D.

20h30 En arrière-fond ma mère suit les JO d'hiver; excusez à l'avance les possibles interpolations avec les exploits de nos snow-boarders. Il n'y a rien d'excitant comme de se replonger dans la vie de province, son journal télévisé, ses rideaux tirés, cette sensation ineffable de se trouver au coeur des événements... Vous ignorez ça, prostré que vous êtes sur votre lit de douleur, en communication directe avec Dieu... Zut, j'ai failli flanquer un coup de pied au caniche. Des instincts, comme ça.

J'ai horriblement envie de vous faire un petit compte-rendu de notre Cave aux Boulets. Il y manquera un peu de sel, puisque vous n'avez pas nos photos de courtisanes libidineuses; mais enfin, je vous fait confiance pour tout imaginer.

Première information inintéressante, inattendue et indésirable: un quidam a rédigé un bouquin intitulé La Conjuration contre les Carpes: Comment la Convention Nationale a fait de ce paisible animal des étangs l'emblème du parti contre-révolutionnaire, et comment les édits de Frimaire ont asséché les étendues lacustres de la Basse-Bourgogne, pour accomplir un pernicieux dessein.
(Je romance à peine) (C'est à quoi nous avons employé notre samedi après-midi)

Munie de ces précieux renseignements, Mlle P. et moi-même échouons dans une gargote immonde de la rue Machin - c'est qu'à 17h30, voyez-vous, j'ai une envie atroce de sandwich aux épinards. Je traîne la pauvrette chez moi sous prétexte de récupérer ma robe de prostituée de Babylone, et, c'est le drame; plat de pâtes monstrueux; nous controns l'anémie; mais la danseuse du Caveau de la Huchette, objet de notre étude, se trouve singulièrement mal armée pour les triple pirouettes voltigeantes.

Vous vous rendez compte, je suppose, que vous entrez dans de honteux secrets.

LA CAVE AUX BOULETS

Essai de métaphysique sociale destinée aux danseuses débutantes, chastes et inaverties

Etape I: les restaurants grecs de la rue de la Huchette.

La danseuse tâchera d'ôter prestement les débris de céramique de son corsage - ne donnons point au danseur l'occasion d'aller y fourrager, il saura bien la trouver tout seul.
(Ciel, je suis en verve)

Etape II: maîtrise des acquis fondamentaux :

savoir lire d'un coup d'oeil la composition de la population réunie ce soir.

L'ouvreur a l'air dépressif: comprendre Trois mémés dansent le tango;

le barman (lexique Ignace) vous accueille d'un "Salut les jeunes! on vient faire la fête? je vous inviterai tout à l'heure!" : comprendre "C'est la misère; mes pauvres minettes, vous allez vous faire ch...";

le mec du vestiaire (lexique L'inconnu Réconfortant) vous jette mollement: "Vous ne changez pas de chaussures ce soir?" comprendre "Il y a une ambiance de feu; tu vas te ruiner les arpions".


Passons maintenant au cas d'espèce - c'est-à-dire, pour la postérité, le 5 février 2006, aux alentours de 23h00.
Attention! Certains dialogues, fidèlement retranscrits, peuvent se révéler gerbatifs.

La danseuse A (moi-même, pour son malheur) ôte son manteau d'un geste ample et secoue sa chevelure de feu au nez de l'Inconnu Réconfortant.
Dans son dos, une voix: "C'est fini?"

TROUBLE. Quelque chose est fini.
1. ma dissert de philo.
2 mes années d'insouciance
3. la révolution d'Uranus autour du Soleil
4. (probabilité maximale) la soirée

Danseuse A, aimable: "Oh non, nous venons juste de commencer..."
La voix reprend et s'enhardit: "Vous avez fini de vous déshabiller?..."

Première rencontre fondamentale: le Septuagénaire Tortionnaire.

L'Inconnu Réconfortant, mou: "Oh, vous savez, il y a vingt-cinq ans que je le connais..."

La danseuse B est aussitôt prise en main par le Septuagénaire Tortionnaire - voici le bonhomme en action.
Chez lui, le délire concupiscent est purement verbal: 1 mètre 22 dans ses bons jours, le cheveu rare et vibratile; sa chemise à rayures le rend facilement repérable, y compris les soirs de fort embrumement tabagique.
Surtout, les progrès de la maladie de Parkinson en font une proie facile pour la danseuse énergique.

Situation type: assommée par l'ennui, vous répétez mécaniquement une passe qu'il affectionne: vous le propulsez dans la contrebasse.

La danseuse A, pendant ce temps, cherche à s'occuper.
Ses mines aguicheuses n'émeuvent personne - quoique! voilà-t-il pas qu'un alcoolique en chemise épinard se dresse sur son chemin!

Conversation (traduite de l'anglais)

Danseuse A: ... Vous êtes sûr que vous savez danser?
Bonhomme: Pas du tout.
D. A: ... (je le sens trop)
B, enthousiaste: Devinez d'où je viens!
D. A: A vue de nez, pas d'Angleterre.
B: Si je vous dis que c'est près de la mer Baltique?
D. A: ...
B. faussement taquin: Attention, ce n'est pas l'Allemagne!
D. A: ...
B.: ... (sourire béat)
D. A: Du Danem...
B.: Et oui, je suis Polonais!... Mais je ne suis pas plombier!
D. A: Ah...

(Sentiment diffus de l'absurdité de la vie humaine)

B.: Devinez dans quoi je travaille!
D. A, vaguement impatientée: I'm not so fond of riddles...
B., hystérique: C'est quoi votre marque de portable?!!!
D. A: ... (ce type est dangereux)
B: Eh oui, je suis chez Nokia! Peut-être que vous ne connaissez pas cela en France. J'aimerais beaucoup vous emmener en Pologne pour que vous m'appreniez à danser. Mon ami (gros plan sur un ivrogne échevelé) vous aime beaucoup aussi. Vous êtes majeure?
D. A: (version soft) Je vais plutôt aller danser avec un professionnel...

Danseuse A et danseuse B vont noyer leur dépit dans le sirop de menthe. En bas, on se frite la gueule. (Flaques de sang sur la piste) Elles redescendent.
Introduction d'un nouveau personnage, ô combien exceptionnel admirable enchanteur: Blondinet.
Blondinet n'est pas un nouveau venu. La danseuse A (décembre 2004) a eu avec lui une Conversation, d'où il est ressorti qu'elle devait se délurer un peu plus. Elle en a pris note.

Blondinet, aussi longtemps qu'il ne parle pas, est presque charismatique: sourire pervers, nez crochu; vissé sur la balustrade; allure décontractée.
Face à ce débordement de violence, Blondinet incarne la stabilité, l'ordre et la réprobation. Il descend de sa balustrade pour souligner la gravité de l'heure, et faire nettoyer la piste en vitesse.

La danseuse A meurt d'ennui: elle suit Blondinet dans l'arrière-salle.

Conversation

D. A: ...
Blondinet: Toujours aussi tendue, hein... tu as peur?
D. A: Ouais. (Ricane)
Blondinet: On va essayer une nouvelle figure. (Il la jette au sol)
D. A: Ecoute, mon poulet, je préfère le rock académique.
Blondinet, paternel: Mais tu sais, le rock, c'est la danse de la sensualité...
D. A, s'étouffe: Et le Caveau de la Huchette, c'est vraiment le rendez-vous des désespérés de la nuit.
Blondinet: J'ai l'air d'un désespéré de la nuit?...
D. A: Je ne tiens pas des propos absurdes à des inconnus à deux heures du matin.
Blondinet, à peine ébranlé: Du calme; ce n'est pas parce que tu danses avec un mec une fois que tu es censée coucher avec lui tout de suite.
(La précision est d'importance)

Mon compte-rendu s'achèvera là; je n'ai voulu vous donner qu'un modeste aperçu de notre misère.

Vous ne couperez pas par contre à la chasse à courre nivernaise; j'espère pour vous que la nuit est longue et qu'on vous laisse user d'Internet à volonté. Pardonnez ma prolixité.

Ce qui est prévu: A., qui n'est plus danseuse, doit assister à une chasse au chevreuil en forêt de T. On lui prêtera pour ce faire un vélo, et elle sera au coeur de l'action.

Ce qui s'est vraiment passé :

Mlle A. se demande bien ce qu'elle fout dans la forêt de T.
Elle a troqué ses frusques de rockeuse désinhibée pour un ensemble vieux jean/pull à grosses mailles - le pur délire.

Présentée à H. de la C., elle dissimule ses vieilles grolles derrière un brin d'herbe (ici, le jabot de dentelles est de rigueur. On course le chevreuil dans le linge de ses ancêtres)

A propos de chevreuil, à quoi cela ressemble-t-y cette bête-là?
A. se figure un truc cornu, de taille indéterminée, et qui (contamination sémantique du phonème -euil, présent dans cercueil et écueil) promène en forêt de T. une mine de dandy poitrinaire.

C'est parti pour le chevreuil.

Détaillons les forces en présence:

1/ le chevreuil (poitrinaire)
2/ l'équipage des P., id est dix chevaux, vingt-six chiens (genre pas caniches), les P. dont Mlle N. en jabot de dentelle, six cors de chasse, trois vélos, et une vingtaine de nouilles en Land Rover.

A., c'est bon à savoir, n'est pas écolo, et elle a très envie de voir
1/ le chevreuil et
2/ les vingt-six chiens, les cors de chasse et les Land Rover dans un face-à-face mortel.

Le vélo arrive.

Trouble.

"Je ne peux pas l'enfourcher, votre mécanique! La selle m'arrive au niveau des narines! Le chevreuil va se foutre de moi!"
T. (nous sommes en province): "Pédalez debout"

Allons-y donc pour courser le chevreuil. La chasse a détalé depuis un moment -
A. avale trois cents mètres de terre détrempée: il se forme comme un doute dans son esprit.

"Ecoutez, votre bestiole, je ne l'attraperai jamais si je dois déblayer toute la boue du bois de T. à chaque coup de pédale"
(A. se suppose encore une pièce maîtresse du dispositif; le chevreuil, à vrai dire, se fout pas mal de la marque de son vélo)

T., une dure à cuire, se saisit de la première Land Rover qui passe et y enfourne A. d'un coup de tatane.

Entretemps, dans le lointain: on sonne l'hallali.

A.: "C'est qui, l'andouille qui s'époumone? Il va faire peur au chevreuil!"

D. de la C. : "Ils l'ont pris."

A: "Ils ont pris quoi?"

D. de la C. : "Le chevreuil"

A.: "Ah bon."


Vingt minutes d'émotion cynétique intense.
D. de la C. se fait pédagogue : "Ils ont attaqué de nouveau - cette fois c'est un [brocart] - il a coupé la ligne au rond du Pendu - c'est Ploum qui a sonné la vue, mais il a dû piboler trois fois, parce que ce n'est pas avec les poumons qu'il a..."

A. acquiesce gravement.

D.'s boyfriend, le ravissant O. P., entend prendre sa part des événements.
A chaque information nouvelle - "Il s'est tapé près des Etangs Cocus!" - il dévisse le volant de sa Land Rover, remonte les lignes de la forêt de T. au son des encouragements féminins, s'encastre entre deux chênes millénaires, escalade sa portière et guette le chevreuil.

A. saisit vaguement qu'on attend d'elle une attitude pareille d'interrogation du feuillage. Les dents dans le dossier du conducteur, perclue d'angoisse, elle écoute.

Une heure et demie passe.

Les dents ont un peu relâché leur étreinte sur la housse de la Land Rover.

Le chevreuil, créature incorporelle, a déjà sauté les deux-tiers des lignes du bois de T. sans que les de la C. soient fichus de se trouver une seule fois au bon endroit pour piboler un coup.

A. s'assoupit en mâchouillant des lambeaux du revêtement synthétique.

"... dix sangliers juste à la lisière"
-"Gueuh?"
- "T'as manqué dix sangliers; c'est dommage, parce que vu comme c'est parti, on va ne va pas voir grand-chose aujourd'hui".

A. comprend que la situation lui échappe.
La Land Rover part explorer une cour de ferme, manque aplatir un chien et trois promeneurs, guette la pibole, revient à la lisière aux sangliers; pour apprendre que le chevreuil, créature malicieuse, s'est tapé dans les fourrés tout le temps que nous avons disserté sur les moeurs porcines avec le garde-chasse.
D. de la C., amère: "Il a dû bien rigoler"


Il est dix-sept heures. On n'y croit plus.
La Land Rover remonte toujours les lignes, mais elle a perdu son allant - c'est que le bestiau a dû débûcher.
A., a qui l'ennui a ôté le sens de la langue française, se figure que des bonshommes sont appointés, en divers endroits du bois de T., pour ramasser des bûches en bordure des chemins et les balancer à la tête du chevreuil alors qu'il tente de couper la ligne.
A. admire beaucoup cette technique, qui, ce lui semble, aurait pu épargner beaucoup de peines à tout le monde.

D. de la C., à son habitude, décrypte: (d'un geste ample, désignant les plaines de l'A.) "Eh voilà, il est sorti du bois! (dé-bûcher; hin hin) Il a tout ça pour lui, le chevreuil! Il fait ce qu'il veut, le chevreuil!"

A. suggère qu'on rentre se coucher.

Il y a toujours le bestiau du début à se mettre sous la dent. Littéralement sous la dent, quoiqu' A. comprenne bien vite qu'on n'entend pas l'associer à la dégustation.
Dans l'obscurité elle tente de deviner à quoi que ça ressemble, un chevreuil - les chiens, qui s'arrêtent peu aux considérations pédagogiques, lui en offrent la version puzzle.

Conclusion: la chasse à courre, un loisir nature.

Selon mes estimations, vous devrez avoir achevé ce mail aux alentours l'an 2062 - vous supporterez, sans doute, que je m'arrête là.
Adieu donc,

P.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

génial, j'adore... c tout à fait dans ton style avec encore plus de verve ! pas étonnant que vous soyez amies... mais pourquoi tu n'as pas laissé sa signature ? après tout "perséphone" est un pseudo et il est drôlement bien choisi pour clore ce discours infernal !

zizule a dit…

traîtresse !!
justement je protège son intimité : le tout P. la connaît son pseudo est connu et reconnu !!
oui bon

moi je fonds à chaque fois que je lis "dandy poitrinaire"
ça me tue

Dodinette a dit…

j'ai pas trop trop suivi tout le temps (fatiguéééééeeee...(, mais par contre la selle de vélo aux narines et les bûches balancées à la tête du chevreuil, c'est du grand Art.

^_^